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12 mai 2014 1 12 /05 /mai /2014 21:34
Le groupe américain General Electric a exprimé son intention d'acquérir la branche énergétique de la société Alstom, un fleuron national. Pour y arriver, son président a compris qu'il fallait donner des gages  au gouvernement français afin d'obtenir son aval. En effet, le Code monétaire et financier précise que certaines opérations réalisées par un investisseur n'appartenant pas à l'Union européenne «relèvent d'une procédure d'autorisation».

Le fait d'acquérir «tout ou partie d'une branche d'activité d'une entreprise dont le siège social est établi en France» ( précisons que celui de  la société Alstom est situé à Levallois-Perret) peut obliger l'investisseur à demander l'autorisation de Bercy si l'opération est réalisée dans un des secteurs concernés. La liste de ces activités sensibles est énoncée à l'article R153-2 du Code. On y trouve notamment les jeux d'argent, la cryptologie et la production d'armes. Mais aussi «les activités relatives aux biens et technologies à double usage», c'est-à-dire à la fois civil et militaire, et le nucléaire en fait notamment partie. En brandissant  la menace d'un veto et en imposant un rapprochement à l'échelle européenne avec Siemens, Arnaud Montebourg s'est attiré les railleries  de la presse américaine qui a moqué, comme toujours, l'interventionnisme français.On peut aussi compter sur le bout des doigts le nombre de politiques courageux qui ont soutenu la gravité et la nécessité de sa démarche. Le patriotisme économique ne peut être un concept flou ni un machin qui sonne en creux quand un fleuron industriel est en cause. Accepter le démantèlement de la société Alstom, c'est faire preuve de défaitisme. On ne peut être d'accord qu'avec Chevènement quand il écrivait sur une forme d'antipatriotisme des élites françaises.

Inversons un peu les rôles ! Un rachat d'une entreprise américaine par une société française aurait-elle été possible?

En matière de patriotisme économique, les États-Unis se montrent particulièrement défensifs. Ils disposent d'un puissant arsenal législatif  leur permettant de s'opposer à la vente d'une de leurs entreprises à un investisseur étranger. L'amendement Exon-Florio, adopté en 1988, prévoyait initialement que cette opposition ne pouvait s'exercer que dans des cas restreints à la défense de la sécurité nationale. Mais les conditions de cette clause ont été assouplies en 1992 grâce à l'amendement Byrd, qui autorise notamment le gouvernement américain à s'opposer à une transaction qui aurait un effet «sur le leadership technologique américain dans des domaines affectant la sécurité nationale». Une définition suffisamment vague pour permettre une interprétation élargie de ce dispositif, rendant un peu plus poreuse la frontière entre patriotisme et protectionnisme économiques.

L'utilisation de cette clause spécifique reste cependant rare. En vingt-cinq ans d'existence, elle n'a conduit qu'à un seul veto présidentiel. Mais, comme le soulignait en 2007 un rapport du Sénat sur cette question, «l'histoire montre cependant que l'existence même d'un tel dispositif constitue un moyen de pression puissant et que des prises de position politiques, même au niveau du Congrès, ont pu suffire à empêcher des transactions de se conclure». En 2006, l'entreprise DP World basée aux Émirats Arabes Unis a ainsi renoncé à racheter la société P&O, opératrice des ports de New York, Philadelphie ou encore Miami. Bien que son projet eût été validé par la commission sur les investissements étrangers aux États-Unis (CFIUS), DP World avait subi les foudres de parlementaires qui, pour compromettre la vente, arguaient que deux des terroristes ayant participé aux attentats du 11 septembre avaient la nationalité émiratie.
 
A votre avis, que font les anglais ?

De l'autre côté de la Manche, la loi britannique protège elle aussi les fleurons industriels nationaux. Le Fair Trading Act de 1973 autorise le gouvernement à enquêter sur une opération en cours pour vérifier qu'elle ne constitue ni une menace vis-à-vis des intérêts nationaux ni une menace... sur la concurrence. Trois secteurs sont clairement concernés : les médias, l'eau et la sécurité nationale. Pour l'instant,  aucune circonstance particulière n'a encore justifié l'usage de veto par le gouvernement britannique. Mais, comme aux États-Unis, la seule menace d'une opposition du gouvernement suffit à dissuader certains investisseurs, comme ce fut le cas en 2006 lorsque le groupe russe Gazprom a eu l'intention de racheter l'entreprise énergétique Centrica.

Certes au Royaume-Uni, c'est moins la sécurité nationale que l'emploi qui entre en jeu dans les décisions politiques. Le Royaume-Uni sait se montrer conciliant en ce qui concerne le rachat de ses entreprises par des investisseurs étrangers. Mais il est  généralement préoccupé (comme on le voit chez Arnaud Montebourg d'ailleurs) par les dégâts sociaux que peuvent engendrer certaines opérations. Le Royaume-Uni est encore traumatisé par la vente des confiseries Cadbury à Kraft qui s'était terminée par la délocalisation de l'activité en Pologne.

Fort de ces expériences, on ne peut qu'apprécier voire encourager les efforts faits par Montebourg pour préserver le destin d'Alstom et les emplois qui vont avec. Le patriotisme économique ne fait pas obstacle à la liberté de commerce et d'investissements. L’état stratège doit prendre ses responsabilités et, en attendant, Arnaud Montebourg fait le job... 
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  • : Le blog de Hervé-Mélaine AGBESSI
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  • Hervé-Mélaine AGBESSI
  • Docteur en droit public économique, diplômé de l'université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne). Expert en fiscalité internationale.
  • Docteur en droit public économique, diplômé de l'université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne). Expert en fiscalité internationale.

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