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17 décembre 2014 3 17 /12 /décembre /2014 19:17

Dans la pièce de Shakespeare, le roi Cymbeline interroge en ces termes : « Eh bien ! Ce diamant qui est à votre doigt, répondez, comment vous est-il venu ? « Tu veux me torturer » répond alors l'affreux Iachimo, « pour me faire dire ce qui, une fois dit, te mettra à la torture. » Qu'on en soit informée ou non, le business des ressources naturelles extraites dans certaines régions du globe (Soudan, Sud-Soudan, République Centrafricaine, République démocratique du Congo, etc...) est tout autant terrifiant que dans cette œuvre du XVIIe siècle.

 

En temps normal, les ressources naturelles de ces pays devraient contribuer efficacement à leur développement socio-économique. Hélas, elles ont provoqué le chaos ; le commerce des ressources naturelles motivant, finançant et prolongeant bien souvent les conflits et autres violations flagrantes des droits de l'homme. Dans ces pays , les richesses de type diamants, or, tungstène, tantale ou encore étain, sont extraites, introduites en contrebande et taxées illégalement par de violents groupuscules armés, qui y puisent le budget nécessaire au financement de forces de sécurité et autres milices belliqueuses.

 

Soudan, Sud-Soudan, République centrafricaine (RCA), et République démocratique du Congo (RDC) sont des États riches en ressources naturelles mais abritent pourtant 55 % des personnes déplacées au sein de la région (une sur cinq à l'échelle mondiale) en raison de conflits.

Ce commerce tâché de sang, autour de ce que l'on a appelé les « ressources de conflit, » se trouve facilité par l'existence de chaînes logistiques en appui d'immenses marchés de consommation, tels que l'Union européenne et les États-Unis, dont émanent en retour d'importants flux de liquidités. Ces richesses du sol, telles que l'étain, le tantale, le tungstène ou l'or  viennent composer nos bijoux, et se retrouvent dans nos automobiles, téléphones portables, consoles de jeux, équipements médicaux et autres innombrables produits de la vie quotidienne.

 

Certes, les consommateurs sont de plus en plus nombreux à exiger un minimum d'informations, conduisant les acheteurs à veiller à ce que leurs commandes ne financent pas de violences inacceptables. En même temps, la conciliation du commerce mondial et de la protection des droits fondamentaux de l'homme ne saurait incomber en priorité au consommateur. La prévention des conflits et la préservation des droits humains relèvent avant tout de la responsabilité des États, avec la nécessité pour les entreprises de jouer aussi un rôle dans ce domaine.

 

Depuis 2012, les sociétés opérant dans des zones de conflit ont la possibilité de s'appuyer sur une norme mondiale. En effet, L'OCDE a émis des recommandations pratiques ou des consignes détaillées sur la manière dont les entreprises peuvent s'approvisionner en matières minérales de manière responsable.

 

Déjà en 2011, l'ONU avait publié un ensemble de Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, selon lesquels les entreprises dont le « contexte d'affaires soulève des risques graves pour les droits de l'homme ont pour responsabilité de rendre officiellement des comptes sur la manière dont elles résolvent ces risques. »

 

Malheureusement, à l'exception de quelques acteurs progressistes du secteur, rares sont les entreprises à répondre à ces recommandations non contraignantes. En 2013, des chercheurs hollandais ont réalisé une étude auprès de 186 sociétés cotées sur des bourses européennes traitant les ressources minérales de conflit. Il est apparu que plus de 80 % d'entre elles ne mentionnaient nulle part sur leur site internet quelque démarche entreprise afin d'éviter de financer conflits ou violations des droits de l'homme. De même, la direction générale du commerce de la Commission européenne a relevé que seules 7 % des 153 entreprises de l'UE faisaient apparaître une politique de diligence à l'égard des richesses minérales de conflit dans leurs rapports annuels ou sur leur site Internet.

 

Aux États-Unis, La Securities and Exchange Commission (SEC) exige des entreprises utilisant du tantale, de l'étain, de l'or ou du tungstène dans leurs produits qu'elles s'informent sur l'origine de ces matières premières, et qu'elle travaillent à la réduction du risque au sein de leurs chaînes logistiques, en conformité avec les recommandations de l'OCDE, dans le cas où ces matières proviendraient de zones de conflit ou de régions à risque élevé. Les 12 États membres de la Conférence internationale africaine sur la région des Grands Lacs se sont engagés autour d'exigences légales de diligence similaires.

 

L’Union européenne (UE) est clairement à la traîne sur ce grave sujet. En mars, la Commission s'est contentée de proposer un système en vertu duquel les informations fournies demeureraient fondées sur le volontariat, n'imposant ainsi aucun contrôle sur les matières minérales entrant sur le territoire de l'UE. Cette proposition est actuellement examinée par le Parlement européen et par le Conseil européen. Il est absolument fondamental que ces deux institutions prennent la responsabilité de renforcer davantage la réponse de l'UE, en rendant obligatoire la conformité et la fourniture d'informations.

 

Sans naïveté aucune, le renforcement de la réglementation autour du commerce de ces ressources naturelles ne saurait à lui seul être l'alpha et l'oméga de la paix au sein des régions touchées par les conflits. Mais le financement des conflits et les sempiternelles violations des droits de l'homme ne sauraient non plus constituer la « gabelle » acceptable des affaires.

 

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  • : Le blog de Hervé-Mélaine AGBESSI
  • : "L'esprit né de la vérité a plus de puissance que la force des circonstances" Albert SCHWEITZER.
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  • Hervé-Mélaine AGBESSI
  • Docteur en droit public économique, diplômé de l'université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne). Expert en fiscalité internationale.
  • Docteur en droit public économique, diplômé de l'université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne). Expert en fiscalité internationale.

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