Qui n’a jamais transpiré un samedi ou un dimanche après-midi sur le montage d'une étagère Billy ?
Arrivé il y a trente ans en France - c'était en 1981 à Bobigny -Ikea aime la France, et les Français le lui rendent bien. Au point que notre pays est devenu le troisième marché de la « world Company » suédoise d'Almhult, derrière les Etats-Unis et l'Allemagne. Et la lune de miel n'est pas terminée, puisque le groupe vient d’annoncer l'ouverture de douze nouveaux magasins d'ici à 2020, ce qui portera son parc total à 40. Etrange paradoxe de voir notre aversion nationale pour la mondialisation rendre ainsi les armes devant l'un de ses plus visibles symboles. Curieuse schizophrénie, aussi, qui nous pousse à plébisciter ce modèle de standardisation banlieusard sans rien abandonner de notre nostalgie pour le commerce de centre-ville.
Dans l'imaginaire national, Ikea s'est pourtant bel et bien installé dans le peloton de tête des enseignes préférées. Et ce serait une erreur de croire que sa puissance de marque repose sur la seule vertu de son modèle économique, qui n'est rien d'autre que d'avoir su offrir aux classes moyennes une solution peu coûteuse au rétrécissement constant de leurs logements.
Avec Ikea, c'est aussi le concept d'une globalisation heureuse qu'achètent sans le savoir nos compatriotes. Celle qui donne du pouvoir d'achat sans sacrifier au plaisir, comme le prouve la pénétration croissante du « design » Ikea dans l'univers des collectors. Celle qui apporte de l'emploi, aussi, 400 postes créés l'an dernier en France grâce à l'ouverture de deux nouveaux magasins. Celle qui s'occupe, enfin, de la proximité. D'ici à dix ans, aucun Français ne sera à moins de soixante minutes d'un magasin Ikea, a promis le directeur général France du groupe. Si tout n'est pas rose dans le monde d'Ikea - en témoigne le récent conflit sur les salaires ou, plus loin dans le temps, les démêlées administratives du groupe à propos du travail le dimanche -, son image a de longue date dépassé son seul savoir-faire. Chez Ikea Suède, 95 % des salariés sont syndiqués, et leurs représentants sont consultés sur le choix des dirigeants. Voilà, l’un des aspects positifs de la social-démocratie.
Bref, quand il visse sa Billy le soir dans la chambre de ses enfants, le père de famille ne doit pas se douter qu'il vient aussi de s'offrir un petit morceau du modèle suédois. Un modèle basé sur le compromis dont nous ferions mieux de nous en inspirer surtout en ces moments de réformes (retraites, déficit….).