France-Roumanie : Match nul et vierge.
Vierge ! Virginité ! Voilà le mot qui crée la polémique. En tous cas, la Cour d’appel de Douai tranchera jeudi (après-demain) sur la requête en appel du parquet relative à « l'arrêt provisoire de l'exécution du jugement » du tribunal de grande instance de Lille (TGI de Lille).
En annulant un mariage au motif que l’épouse avait dissimulé à son futur mari la perte de sa virginité, le tribunal de grande instance de Lille a créé un débat vif, passionnel et passionné sur la liberté sexuelle des femmes et le drame de l’embrigadement religieux ou de la charia.
Pendant que le parti socialiste jugea cette décision « atterrante », Ni putes Ni soumises lança une pétition dénonçant une « véritable fatwa contre la liberté des femmes ».
Sur le terrain de l’émotion ou de l’indignation, tout est possible ; mais en matière juridique, les textes et la jurisprudence nous ramènent plus aisément à la raison.
Le jugement du TGI de Lille est fondé sur la notion du libre consentement des époux. Dans ce jugement, il n’a jamais été mentionné que la virginité sera à l’avenir une obligation imposée à la mariée ou qu’elle constitue dorénavant une qualité essentielle des conjoints. Mais, selon ce jugement, le silence de la jeune femme a pesé sur la décision du jeune homme. Les juges de première instance ne créent pas une obligation nouvelle, c’est-à-dire qu’ils ne font pas de la virginité une condition préalable et indispensable du mariage : ils affirment, à juste titre, sur la foi des déclarations des époux, que le jeune homme n’aurait pas contracté mariage s’il avait su que la jeune femme n’était pas vierge. Pour le tribunal, le mariage repose donc sur un vice du consentement.
Certes, on peut comprendre qu’on s’offusque devant ce qui semble, a priori, une concession aux exigences de la charia, encore qu’en l’espèce, il n’y a ni atteinte à l’intégrité physique ni atteinte à la vie, mais plutôt une bonne nouvelle pour la femme qui peut recouvrer son célibat en se débarrassant de son inélégant de mari.
Ceci étant, les réactions, les manifestations critiquant la décision du TGI de Lille me paraissent disproportionnées et déraisonnables. Chacun est libre de respecter ou non les préceptes religieux que lui imposent sa foi (toujours à condition de ne pas nuire aux lois de la République). Ne pas manger du porc, ne pas forniquer avant le mariage, etc.… sont des règles que respectent certains musulmans ; et cela ne les met en contradiction ou en infraction avec aucune loi de notre société démocratique. La laïcité, ce n’est ni l’uniformisation de la pensée occidentalo-religieuse, ni l’anti-religion, c’est plutôt le respect de la diversité religieuse dans un souci de neutralité.
Il serait vain, maladroit, petit voire nauséabond de croire que cette décision du TGI de Lille fait une fleur aux tenants du fondamentalisme religieux. Ce jugement s’appuie à bon droit sur l’article 180 du code civil qui dispose que « le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l’un des deux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre.
S’il y a erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage ».
Le consentement des époux, qui est l’un des piliers du mariage doit être libre et éclairé. Heureusement qu’en l’espèce, il ne s’agit d’un mariage forcé. Mais la difficulté réside dans l’expression « qualités essentielles ».
Si le législateur, par prudence, se garde bien de donner une liste exhaustive de « qualités essentielles », la grande tâche en revient donc aux juges qui ont su, bon gré mal gré, construire une jurisprudence acceptable.
En 1982, en se basant sur l’erreur sur les qualités essentielles, la Cour d’appel de Paris avait annulé un mariage pour inaptitude à avoir des relations sexuelles, c’est-à-dire que le mari était impuissant. En 1989, le TGI de Vesoul, a retenu l’erreur sur les qualités essentielles pour annuler un mariage au motif que l’un des époux ignorait l’existence de la curatelle de son futur conjoint. Remontons, même plus loin, en citant la décision du Tribunal Civil de la Seine du 04 Février 1918, qui prononce la nullité d’un mariage pour erreur sur les qualités essentielles de la personne au motif que l’un des époux s’est trompé sur la nationalité de son conjoint !!
Quand l’honneur, la santé, la vie et l’intégrité physique d’une personne sont en jeu, nul doute que la société peut s’élever contre les motifs invoqués par les conjoints. Mais en présence d’un critère (aussi religieux soit-il) important et déterminant pour le libre consentement des époux, l’indignation doit céder la place au droit. Parce que le marié considérait la virginité comme un critère décisif, le tribunal lui a accordé l’annulation du mariage. Dans cette affaire, le vice du consentement ne souffre d’aucune ambigüité et se présente plutôt avec acuité. L’épouse ayant d’ailleurs reconnu que son mari aurait refusé l’union s’il avait su qu’elle n’était pas vierge. Même si, on peut le regretter ou le déplorer, il s’agit d’une vision archaïque et ringarde de la sexualité féminine.
Libre à chacun de jongler avec sa sexualité ! Libre aussi à chacun de choisir qualitativement la personne avec qui il entend contracter mariage ! Les juges, dans un esprit républicain, sauront concilier ces deux libertés.
Reconnaissons que le contentieux est aussi faible que l’enjeu : Sur les 270000 mariages célébrés en 2004, seulement 80 ont été annulés en raison de l’erreur sur les qualités essentielles de la personne. Rien ne justifie en l’état la réforme de l’article 180 du code civil. D’ailleurs le réformer pour y mettre quoi ? Exclure les nullités prononcées au nom de la virginité ? Quid des autres motifs liés à la santé ou au handicap ? Ou bien exclure les annulations pour les motifs liés aux mœurs ? Dans ce cas, pourquoi ne pas lister une interdiction de l’annulation du mariage pour des pratiques bisexuelles, homosexuelles, sadomasochistes… ? Sous le sceau de l’émotion, il serait inopportun d’ouvrir la boîte de pandore. Dans une société moderne comme la nôtre, le consentement libre et éclairé doit rester la norme. Quant aux erreurs d’appréciation, le juge s’en occupera. Ceci est essentiel pour la garantie de nos libertés fondamentales.
Enfin, je ne crois pas que la volonté de Ni putes Ni soumises, de faire de cette femme, contre son gré et à son insu, un emblème soit appropriée. Car en acceptant l’annulation du mariage pour non-virginité, cette femme se libère non seulement d’un mari ringard mais aussi d’une situation lourde qu’aurait engendré un divorce. L’urgence pour elle, comme quiconque à sa place, serait de fermer cette parenthèse douloureuse et de refaire sa vie.
Selon l’avocat de l’épouse bafouée, « une infirmation totale du jugement serait pour (elle) un désastre et une confirmation, un soulagement mais avec beaucoup d'angoisse inutile ».
Peut-on vouloir protéger la victime et l’étouffer en même temps ? Peut-on être plus royaliste que le roi quand il s’agit d’une affaire de société, somme toute banale ? La société peut-elle faire de nous des héros contre notre gré ? En clair, est-ce à Ni putes, Ni soumises de définir le cahier de charges ou les conditions que doit réunir une fille en âge de se marier ? rendez-vous le jeudi 12 Juin à Douai.